Jour 9 : Angers-Saint Saturnin. 17,753 kms.36360 pas. 4h58 de marche.
Aujourd’hui nous franchissons la Loire et nous quittons la voie des Plantagenêts qui poursuit vers Compostelle pour emprunter le GR3.
Je mesure l’avancée du voyage.
Nous partons par la ville. La vieille ville d’Angers puis la longue descente vers Les Ponts de Cé, bourg très étiré, continuation d’Angers.
Zone commerciale, ronds-points, feux, passages pour piétons, ciculation, immeubles, j’avais oublié la ville.
10 kilomètres de ville.
A Les Ponts de Cé ( 4 ponts successifs sur bras de Loire et Touet), nous faisons une pause au bar PMU de Saint -Maurille et là, heureuse surprise, celui qui tient le café est aussi un marcheur.
La conversation s’engage,comme souvent, à propos de nos sacs. Vous allez où, comme ça, les filles?
Autant au tout début nous annoncions presque d’emblée, à Rome, autant maintenant nous parlons plutôt de l’étape en cours. A Saint-Saturnin.
Mais il n’est pas dupe. Avec des sacs pareils. Et puis on sent l’intérêt. On lâche. Tours. Puis Rome.
Alors il raconte. Lui aussi marche comme ça, en itinérant, avec sa femme. Il a fait le chemin de Stevenson la même année que moi, en 2017. Il a surtout marché trois semaines au Pérou et trois semaines en Colombie.
Cette conversation c’est le petit bonheur du jour.
D’avoir marché dans la ville m’a mis KO.
Nous avons pris ce chemin plutôt que l’autre du bord de l’eau, plus long de 11kilomètres. Nous avons gagné 11 kilomètres. Oui. Mais ça veut dire quoi?
C’est comme si j’étais sortie du chemin.
Ou plutôt c’est comme si je m’en étais coupée.
J’ai du mal à renouer.
Nous pique-niquons à l’abri du vent derriére deux chênes, les seuls arbres du paysage. Autour de nous de grands champs cultivés, coupés par le chemin qui les traverse en ligne droite.
Arrive un tracteur avec un pulvérisateur bleu à l’arrière.
L’agriculteur descend de son tracteur, je me lève, je lui dis bonjour, il grogne vaguement.
Je le regarde déployer les bras de son pulvérisateur bleu. Le droit. Le gauche. Il ajuste ses robinets, en remplace un. Puis il vient vers nous.
Je sens comme une tension. Je redis bonjour.
Je peux vous demander ce que vous faites chez moi? L’accueil est rude.
Je dis randonnée. Je dis pique-nique. Je lui montre l’arbre. Je me suis assise là, à l’abri.
Il regarde l’herbe aplatie. Oui, on peut être bien au cul du chêne.
Il repart, remonte dans son tracteur et se met à pulvériser du produit dans son champ.
Nous partons nous aussi avant d’en recevoir une dose.
Sur le chemin, regardant les allers et retours du tracteur et pensant au regard hostile de l’agriculteur, j’imagine le monologue d’un gars un peu baba, un peu anar, qui, d’un ton » cool « lui aurait répondu:
Oui, mec. Mais tu sais, moi, je suis contre la propriété. Alors tu vois, mec, chez toi…chez moi… Qu’est-ce que ça veut dire? Un petit peu moins pour toi…. Un petit peu plus pour moi…Ça change quoi, mec?
Geneviève éclate de rire.